Espace des enfants atteints

Lamia parle de sa vie

Nous sommes atteints d’une maladie héréditaire rare et chronique. C’est une maladie difficile à comprendre, car elle est directement en rapport avec l’effet des rayons solaires sur notre peau.

Nous sommes voyants, mais nous sommes condamnés à ne pas voir la lumière du jour. Nous sommes des êtres condamnés à vivre dans l’obscurité totale, pour cette raison on nous appelle les « enfants de la nuit », je préfère plutôt la dénomination « d’enfants de la lune ». Car je m’attache à ces faibles faisceaux de lumière lunaire qui me donnent un peu d’espoir. 


Parfois, je me place devant le miroir, puis je regarde les photos de mon enfance. J’étais un beau bébé sans aucune anomalie et je me demande ce qui s’est passé ? J’ai subi plusieurs interventions chirurgicales, mon visage commence à être défiguré et je ne me reconnais plus.

Parfois je pleure, parfois je ris, je suis triste et ma tristesse s’enflamme au lever du jour.

Je reste éveillée toute la nuit, et quand les gents dorment et que le silence terrible règne, je plonge dans l’anxiété et la peur. Je tremble, jusqu’à épuisement et je dors quelques instants pour être réveillée de bonne heure dans une stupeur terrible sur les premiers faisceaux des rayons solaires qui tentent de traverser la fenêtre de ma chambre.

Malgré mon désespoir, je ris, je joue, je chante, je joue de la musique et il me semble que j’ai de la chance : c’est mon amie la lune qui s’amuse avec moi, mais elle part très vite et je plonge de nouveau dans la tristesse. Mon bonheur est fugace, il est lié à quelques nuitées de pleine lune.

J’ai fatigué mon père, éreinté ma mère et j’ai pris tout à ma sœur unique. Je parais privilégiée mais je suis triste. J’ai épuisé leur fortune, leur tendresse, leur amour et j’ai privé ma sœur chérie de leur attention.

Bien que mon père, soit un petit fonctionnaire,  il a dépensé tout son argent pour me soigner, pour me protéger et pour me soulager. Il m’a présentée aux médecins même à l’étranger.

Il m’a procuré, des vêtements spéciaux fabriqués par la Nasa et des lunettes anti-UV pour me protéger des rayons solaires.

Avec l’appuie de mon oncle, docteur en médecine résidant en France, mon père a pu acquérir un film filtrant les UV. En collaboration avec ma mère,  il a fixé ce film sur l’ensemble des fenêtres de notre maison ainsi que les vitres de notre voiture. Il a également veillé à ce que notre maison ne soit pas équipée  de sources artificielles d’UV en installant des lampes certifiées free UV. 

Je tiens à remercier mon médecin traitant du service de dermatologie de l’hôpital Habib Thameur qui à l’aide d’un appareil de mesure adapté a vérifié l’absence d’ultraviolets dans tout mon espace de vie.

Grâce à mon père, j’ai pu bénéficier des meilleurs soins, prodigués par les plus grands spécialistes nationaux et internationaux.

J’ai consulté à plusieurs reprises dans les hôpitaux publics, l’accueil y est impeccable et la prise en charge est correcte. Cependant, je préfère être suivie dans les cabinets privés car je ne supporte pas de voir les autres enfants atteints par cette maladie, en particulier ceux qui sont défigurés. Je suis terrifiée de voir des enfants de mon âge dont le nez, les lèvres, les joues ou les oreilles sont entrain d’être bouffés par les cancers.  C’est effrayant, je préfère arrêter leur description. Devant ces images, je tremble et je dis : suis-je chanceuse ? J’ai eu tous les moyens de protection et je sens pendant un très court laps de temps que je suis heureuse, je souri mais soudain les griffes de l’angoisse me rattrapent douloureusement et je me demande quel sera mon sort ? ??

Ma mère bien aimée, s’occupe de notre foyer, elle veille sur ma protection. Elle applique avec rigueur et attention la crèmes photo protectrice, plusieurs fois par jour sur mon visage et sur mes mains. Puis elle m’aide à porter ma tenue de « NASA ». Elle utilise notre voiture « photo protégée » pour m’emmener à l’école. 

Malgré la variabilité des horaires d’études, elle est toujours là, devant la porte de l’école pour que nous rentrions à la maison dans la fameuse voiture protégée de papa.

Mon père se sacrifie pour moi, il utilise les moyens de transports publics pour mettre à ma disposition sa voiture.

Ma situation a changé depuis que je suis au collège. A l’école primaire, tous les enfants me connaissaient et sympathisaient avec moi. Le directeur, est un gentil monsieur, il a réservé la même salle pour l’enseignement de ma classe. Mon père a installé le film anti UV sur les vitres des fenêtres  de cette classe. Mes enseignants ont veillé à ce que mon bureau soit loin de la porte. Ils m’ont accordé l’autorisation de ne pas quitter la salle durant les récréations accompagnée de quelques amies.

Aujourd’hui, au collège, je suis obligée de changer de salle de classe. Le médecin scolaire, qui nous voit une fois par an,  semble ignorer ma maladie.

A l’école, je porte ma tenue de la « NASA », je parais étrange. Certains élèves me regardent avec compassion, d’autres s’étonnent ou me fuient par peur d’être contaminés.

Certains me voient avec un regard oppressant et étrange, s’interrogent de quel planète suis-je arrivée ?

Je suis une adolescente, à un âge où toutes mes copines ont certaines libertés. Elles sortent et se voient souvent. Elles peuvent fréquenter les maisons de jeunes, les clubs d’Internet alors que je suis prisonnière de ma maladie, cela me fait beaucoup souffrir.

Heureusement je suis une bonne élève et mes moyennes sont satisfaisantes si non j’aurais craqué et j’aurais été complètement perdue.

A mon âge, les filles sont jolies et sont fières de l’être. Elles expriment leur joie de vivre. Devant ces scènes, la colère m’envahit et j’ai envie de retourner très vite chez moi, de  rentrer rapidement dans ma chambre pour briser le miroir à fin de ne plus voir mon visage dont je suis si peu fière. 

Mon père rentre tard le soir, il entre dans ma chambre pour m’embrasser tout en souriant malgré sa douleur profonde qu’il cherche à dissimuler.

Il s’assure que je vais bien et me demande ce que j’ai fait à l’école. Souvent il m’invite à aller faire un tour avec lui en voiture. C’est le soir que je peux sortir librement sans être obligée de porter ma tenue de la Nasa. La je suis sur terre, je suis un être humain comme les autres et je peux profiter de ces courts instants avec mon père comme un enfant normal.

Il m’accompagne tantôt pour faire un tour dans les rues du quartier, ou bien pour naviguer dans le club d’Internet, tantôt je rends visite à mes amis ou bien je m’entraîne dans la salle de sport.

En rentrant à la maison, l’inquiétude me reprend, et j’attends ma lune, je m’interroge sur mon destin. Dieu merci,  je suis une bonne élève,  mais la question qui me traquasse : et après ? Que me réserve l’avenir ?  Quel sera mon job ? Quel sera mon sort ? comment sera ma vie …

Je suis plus dépressive durant les vacances, les jours deviennent plus longs, malgré que j’essaye de dormir, de m’occuper  avec mon ami le livre et j’attends avec impatience le soir et le retour de mon père.

Mes parents, sont des vrais combattants mais je ne trouve pas les moyens pour les récompenser, peut être avec ma patience, peut être avec  ma réussite scolaire. Pourrais je leur rendre un peu de joie et de bonheur ?

Durant ces dernières années, j’ai participé au camp des enfants de la lune en France. C’était des journées merveilleuses mais courtes qui s’envolent rapidement.   Tout est bien organisé, des réunions entre les enfants de la lune venant de partout, des jeux, des balades, de la musique tout se passe la nuit jusqu’à l’aube. Des médecins, des chercheurs, sont présents pour guider et informer nos parents, sur notre maladie, sur notre protection et sur les nouveautés scientifiques. J’ai souhaité voir ces camps se tenir chez nous.

Que dieu nous donne la patience et la sagesse. Que dieu mettre à notre disposition plus de gens gentils et dévoués pour aider l’ensemble des enfants de la lune dans notre cher pays, la Tunisie. Je souhaite de tout mon cœur que la lune ne disparaisse jamais.